« Enfin,
une vieille tradition, qui peut-être est la vraie, est
arrivée jusqu’ à nous, et je vais l’exposer. Le
peuple de l’ancienne Rome, à l’époque où il
n’avait pas encore de tribuns pour protéger ses
droits, s’était réfugié sur le sommet du Mont-Sacré.
Les vivres qu’on avait emportés furent bientôt épuisés ;
le blé, premier aliment de l’homme, manqua. Il y
avait, au village de Boville, non loin de Rome, une
femme du nom d’Anna, pauvre, vieille, mais toujours
vive et laborieuse ; chaque jour, relevant ses
cheveux blancs sous une légère bandelette, elle pétrissait,
d’une main déjà roidie par l’âge, des gâteaux
rustiques ; puis le matin, tout fumants, elle
allait les distribuer au peuple. Les citoyens furent
touchés de ce bienfait, et, quand la paix les eut ramenés
dans Rome, ils élevèrent une statue à Pérenna, qui
les avait secourus dans la détresse. Il me reste
maintenant à expliquer pourquoi les jeunes filles
chantent des hymnes obscènes ; car, à cette époque,
elles se réunissent et prennent cette licence, que
l’usage a consacrée. Anna venait de prendre rang
parmi les déesses ; Mars vient la trouver, la tire
à l’écart, et lui parle ainsi : « Ta fête
est dans le mois qui m’appartient ; ton culte et
le mien sont réunis ; ne refuse pas de me servir ;
tu peux beaucoup pour mon bonheur. Dieu des combats, je
brûle pour Minerve, déesse des combats ; depuis
longtemps mon cœur souffre de cette blessure ;
travaille à confondre en une seule deux divinités que
déjà tant de sympathies rapprochent l’une de
l’autre ; ce rôle est fait pour toi, bonne et
officieuse Anna. » Il dit ; la vieille
l’amuse d’une promesse perfide, et, le remettant de
jour en jour, elle entretient longtemps sa crédule espérance.
Enfin, le dieu, impatient, redouble ses instances.
« Vos vœux seront accomplis, lui dit-elle ;
vaincue à grand peine par mes prières, elle a enfin
consenti. » L’amant se livre à la joie, et prépare
la couche ; Anna s’y laisse conduire, le visage
voilé comme une jeune épousée. Prêt à la couvrir de
baisers, Mars la reconnaît ; la honte, la colère
agitent tour à tour le dieu confus. La nouvelle déesse
se moque de la passion de Mars pour une si belle
Minerve, et Vénus n’a jamais ri de si bon cœur. Voilà
l’origine de ces plaisanteries et de ces chants obscènes ;
on y célèbre la supercherie faite à une puissante
divinité. » (Ovide Les Fastes T4 lignes 660 à
696). |